2022 Assise bien droite sur sa chaise, Nora soutient le regard de son époux, non sans difficulté. Après avoir construit une carrière dans le service à la clientèle, elle est devenue maître dans l’art de masquer ses émotions. Elle camoufle toujours son agacement sous un sourire poli, sa panique sous une moue affable. La chose est évidemment plus difficile à faire en ce moment, car il serait mentir que d’affirmer que les papiers de divorce qu’il vient de déposer face à elle ne l’affectent pas. Elle a certainement vu venir la chose – ça fait des mois qu’il la harcèle pour qu’ils aient un enfant, ce qu’elle a catégoriquement refusé. D’une part parce qu’elle n’a sincèrement pas le temps ou l’intérêt pour élever un mioche, d’autre part parce qu’elle a fait des tests, dix ans plus tôt, qui ont confirmé une anomalie de ses trompes de Fallope. Nora est infertile, ce qui l’arrange d’une certaine façon, car elle n’a jamais ressenti le besoin de procréer. Elle aime bien les enfants (quoique, tolérer serait un mot plus juste), mais jamais elle n’a ressenti quelconque pulsion maternelle. Alors, pourquoi ne joue-t-elle pas cette carte à son avantage? Pourquoi ne révèle-t-elle pas à John cette infertilité dont elle est victime, pourquoi ne prétend-elle pas une quelconque difficulté à vivre ce deuil afin d’attirer sa sympathie? Il faut croire qu’elle respecte suffisamment son mari pour ne pas avoir envie de le duper. Et aussi, parce qu’il existe peut-être une petite part de vérité dans ce mensonge, qu’elle refuse catégoriquement d’assumer. Alors cette infertilité est devenue son petit secret, qu’elle n’a jamais révélé à qui que ce soit à l’exception de ses amies avec qui elle forme un quatuor inébranlable. L’idée d’avouer la vérité à ses proches l’horrifie. Des plans pour qu’on la prenne en pitié, ou encore qu’on lui parle d’adoption ou de fécondation in vitro. La vérité, c’est qu’elle ne veut pas d’enfants, et elle regrette d’avoir tenu pour acquis que John ne changerait jamais d’avis sur la question. Il semblait d’accord avec elle pour ne pas en avoir, mais il faut croire que sa crise de la quarantaine a changé les choses. La peur de vieillir seul s’est imposée à lui, et a mené le couple tout droit vers un mur.

Nora ne cherche même pas à argumenter avec lui. S’il veut se reproduire, grand bien lui fasse! Elle n’a jamais été le genre de femme à absolument avoir besoin d’un homme pour sentir qu’elle a une valeur, ainsi elle ne se mettra certainement pas à le supplier de rester. Quand même, un deuxième divorce… Le premier s’expliquait par son jeune âge. Mariée à ses vingt-et-un ans, l’union avait duré cinq ans avant qu’elle ne se fatigue du manque d’ambition de George. Le voir se contenter de son petit job dans un supermarché avait fini par la dégoûter, alors qu’elle-même se donnait corps et âme pour monter les échelons dans sa carrière. Lorsqu’elle avait reçu une offre pour un prestigieux hôtel à Pine Creek, Nora avait fini par exiger la séparation, et avait tout plaqué pour venir s’installer ici. Elle se donnait un an, peut-être deux, pour mieux apprendre les ficelles du métier avant de regagner la grande ville. Mais elle a fini par tomber amoureuse de l’endroit et des gens qu’elle y a rencontré.

Feignant un désintérêt qu’elle ne ressent pas réellement, Nora signe les papiers sans un mot, au grand désarroi de John qui espérait sans doute qu’elle se batte pour sauver leur couple. Mais s’il y a une chose à savoir sur Nora Stewart, c’est que son égo est plus fort que tout. Jamais elle n’acceptera de se montrer vulnérable devant qui que ce soit, même la personne à qui elle avait juré pour le meilleur et pour le pire.

2024 Deux années se sont écoulées depuis son divorce, et Nora se porte à merveille. Elle s’est dévouée corps et âme dans son métier, ne comptant plus les heures données. C’est une réelle passion pour elle, si bien qu’elle passe plus de temps à l’hôtel qu’à sa propre villa. La transition entre Paul et Caleb s’est déroulée à merveilles, et si Nora ressentait une petite appréhension à l’idée de perdre son mentor, une complicité professionnelle avec Caleb s’est imposée dès les premières semaines.

Elle semble avoir tiré un trait sur l’amour, trouvant que les relations lui tirent trop d’énergie à bien entretenir. Elle aime toujours charmer, passe parfois la nuit avec des partenaires éphémères, mais elle a érigé des murs qui seront sans doute difficiles à abattre. De toute façon, qui a besoin d’un homme lorsqu’on a trois merveilleuses amies avec qui partager son temps, ses confidences et ses fous rires? Ces trois autres femmes, toutes aussi différentes les unes que les autres, elle les aime de tout son cœur. Ce sont elles, ses véritables âmes sœurs.