l'histoire de Shani n'a vraiment rien d'un conte de fée.
bébé non désiré, qui a pointé le bout de son nez dans un couple bancal, inconstant, toxique l'un pour l'autre. papa qui a des problèmes avec les paris, qui se retrouve souvent dans des histoires louches, alors que maman aime renifler de la poudre blanche pour oublier ses soucis, pour oublier qu'elle est une mère en carton avec son bébé, sa petite merveille, tout de même.
enfance bercée dans la pauvreté, dans la privation, dans les cris de papa et maman qui ne sont que très rarement clean. petite fille souvent pointé du doigt à cause de ses vêtements pas toujours à sa taille et parfois troués, mais petite bohémienne qui ne fait pas de vagues.
finalement, papa disparaît du paysage, du jour au lendemain, laissant maman toute seule avec Shani, dans la merde, il faut le dire. maman débloque, se tourne bien trop vers sa poudre magique pour supporter sa misérable vie, laissant l'enfant livrée à elle-même, la pensant déjà suffisamment autonome pour se gérer toute seule.
quelques années à improviser, avant que maman succombe à son addiction, dans le minable appartement, sous les yeux de Shani.
deux jours. c'est le temps qu'il a fallu pour que quelqu'un le remarque, pour que quelqu'un se soucie de l'enfant. malheureusement, après quelques recherches, il s'avère qu'il n'y a personne pour récupérer la fillette. papa n'est déjà plus de ce monde, lui aussi. un énième pari, avec les mauvaises personnes et... pas besoin de faire un dessin, il est au même endroit que maman. gamine qui se retrouve du jour au lendemain dans un foyer, un endroit détestable pour beaucoup, presque paradisiaque pour Shani, en comparaison à la vie qu'elle a mené jusque là. tant mieux. son histoire est bien trop glauque pour avoir la chance d'être placée dans une famille d'accueil, trop effrayante pour attirer l'attention de potentiels adoptants. elle est vouée à rester dans le système, Shani, jusqu'à sa majorité.

années de galère, où la discrète Shani ose enfin s'exprimer, exprimer son mal-être, sa colère, sa rage. elle n'a que faire des règles la gamine. lorsqu'on lui dit non, elle va entendre oui. lorsqu'on lui dit de faire attention, elle va comprendre qu'il faut foncer. rebelle et impertinente, elle n'a rien à perdre, la brune. la seule lumière dans ce brouillard épais ? lui. lui, ce gamin aussi perdu qu'elle dans le foyer, celui qui parvient à domper la lionne qu'est la Aguilar. il s'appelle Milton, et il fait battre le coeur de la brune. cet amour est interdit, au sein du foyer, mais ils s'en moquent. on peut ne aller contre les sentiments. ils s'aiment. ils se désirent. ils se font du bien mutuellement. alors, à la majorité, ils ne se font pas prier pour s'en aller, ensemble, très loin d'ici. Shani, elle aurait pu devenir quelqu'un, peut-être une brillante architecte d'intérieur, parce qu'elle dessine bien, qu'elle a du talent, des idées. mais poser son cul sur les bancs de l'université, trop peu pour elle. ce qu'elle voulait, c'était suivre Milton, quitter sa ville de galère, refaire le monde à ses côtés.

ils n'avaient pas d'argent, mais ils se sont débrouillés. adieu Portland, à jamais. parfois en bus, parfois en stop, ils ont réussi à s'en aller. l'Idaho. le Montana. Dakota du Nord. le Minnesota. le Wisconsin. l'Illinois. et enfin le Tennessee. dernier arrêt dans le périple, à Memphis, là où ils ont voulu poser leurs bagages, vivre d'amour, d'eau fraiche, de sexe. ils étaient bien. ils étaient heureux. ils étaient amoureux. ils n'avaient besoin de pas grand chose, tant qu'ils avaient l'autre. ça a fonctionné, durant plusieurs années. Shani, elle pensait avoir trouvé l'homme de sa vie, le prince charmant de son non conte de fée. il l'a même demandé en mariage, avec une bague sans valeur, mais l'intention était là. mais le destin n'a pas voulu offrir à la Aguilar le happy end tant espéré. Memphis, ville tristement célèbre pour son taux de criminalité. il ne fait pas bon d'adresser un regard de travers à la mauvaise personne. c'est ce qui est malheureusement arrivé à Milton, un banal soir. un regard, c'est ce qui lui a valu de rencontrer son créateur, bien trop tôt. un regard, pour briser le coeur de Shani, en mille morceaux. s'il n'y a pas eu beaucoup de larmes pour la mort de sa mère, elle a pleuré toutes celles de son corps pour Milton.
Shani. presque 25 ans. presque veuve. à nouveau toute seule dans ce monde de brutes.
elle a sombré, comme sa mère auparavant, sans pour autant se tourner vers une addiction. uniquement la dépression, la mélancolie, la tristesse. jusqu'à se mettre un coup de pied aux fesses pour rebondir. c'est une guerrière, Shani, une battante. une survivante. repartir à zéro, c'est ce qu'il lui fallait. loin de Memphis. loin de Portland. le hasard la conduite... en Californie, dans cette ville quelconque de Pine Creek, l'année 2020.

nouvelle vie. on efface l'ardoise, et on recommence.
elle a galéré, mais elle s'est débrouillée. des petits boulots, ici et là, jusqu'à se plaire au Summit Theatre, comme barmaid. ça fait déjà deux ans qu'elle y bosse. une régularité qui lui permet d'avoir un toit au-dessus de sa tête, un revenu pour vivre, pour se faire plaisir de temps en temps. elle ne se prend pas la tête, Shani, elle avance, tout simplement. elle prend chaque jour qui vient, comme il est, sans chercher à envisager l'avenir. elle a bien compris que l'univers avait une dent contre elle, qu'elle avait tout intérêt à se tenir à carreau pour ne pas subir sa foudre. et jusqu'à présent, elle se débrouille pas trop mal.