Seul, une nouvelle fois seul. La sonnerie de la récréation avait retentie, laissant une vide considérable dans la salle de classe. Les yeux rivés sur l'extérieur, tu soufflais, déposant délicatement ton visage dans le creux de ta main droite. Tu les regardais, courir, rire, converser comme si le monde s'était arrêté, pointer du doigt des choses, échanger des objets. La vie battait son plein pour eux, et tu les enviais, tous autant qu'ils étaient. La calme de la pièce exacerbait ta solitude, qui s'était déjà trop creusée. D'ici, on ne te voyait pas, assis sur ta chaise dans la salle de classe. Même si on pouvait te voir, personne ne t'aurait remarqué. Gamin timide et solitaire, t'avais toujours eu du mal à créer des liens. Arrivé il y a quelques années sans parler un mot d'anglais, on t'avait rapidement mis à l'écart des autres. Peut-être l'avais-tu fait toi-même en trouvant ce changement trop abrupt et hostile ? Peut-être est-ce un rude mélange des deux. Le fait est que tu restais souvent là aux pauses, à regarder tes camarades êtes dehors, ou un lire des bouquins pour être certain que le manque de vocabulaire dans ta seconde langue ne puisse jamais plus être un frein dans ton développement. "Tu fais quoi là ?" Tu sursautas. La voix était arrivée de nulle part, elle avait fait monter en toi une soudairne terreur. Comme si la solitude n'était pas assez terrible, il fallait en plus qu'elle soit pointée du doigt par quelqu'un. "Quoi ?" Ta voix résonnée étrangement. Un léger accent venu des balkans persistait mais ce n'était qu'une question de temps avant que cet héritage s'enlève complètement pour faire de toi un parfait petit américain. "C'est pour ça qu'on te voie jamais aux pauses, tu restes là ?" Le garçon te regardait droit dans les yeux. Tu aurais voulu maintenant le regard et répondre, mais tu flanchas. Tu regardais tes mains, qui s'emmêlaient sous la honte. Tu l'entendis se rapprocher de toi. Il s'assit à la table à côté. "J'étais venu chercher mes cartes pour les montrer aux autres. Tiens." Il avait le sourire aux lèvres et ses yeux reflétaient une certaine fierté. Tu ne te souviens pas avoir déjà eu ce regard dans ta vie, tu te juras à cet instant que tu ferais tout pour avoir cette étincelle un jour aussi. Il te tendit un tas de cartes dont les jeunes faisait la collection. Echange, combat, carte ayant plus de valeurs que d'autres, tu en avais aussi quelques-unes chez toi, cadeau sacré de ta mère, mais pas autant. "Wow !" Tu laissas échapper une exclamation, ce qui le fit rire.

Le reste de la récréation se passa à une vitesse folle, alors que vous parliez carte et que tu tissais là ta première amitié, ta première relation sincère. Evénement marquant de ta vie, étrange bouleversement. Ce jour-là, il avait simplement eu de la peine pour toi, lui le garçon populaire de l'école. Il t'avait alors pris sous son aile, montré la vie, au fur et à mesure des années. Devenus amis, meilleurs amis puis même frère de coeur, vous aviez découvert l'adolescence et la vie de jeune adulte ensemble. Et grâce à lui, l'étincelle de fierté dans tes yeux, était apparue.



Seul, une nouvelle fois seul. Le sentiment d'échec cognait ton coeur. La déception que tu avais de toi-même n'avait jamais été aussi grande. Ton visage ne laissait rien paraître, évidemment. Avec le temps, et ton métier d'avocat, tu avais réussi à avoir une entière maîtrise de toute réflection de tes sentiments sur ton apparence. Il était hors de question de te montrer faible en plus de le ressentir. Hors de question que quelqu'un puisse avoir pitié de toi. Tu avais trop travaillé pour construire ton image, elle n'allait pas s'érafler à cause d'une peine de coeur.

Stylos baissés, papiers du divorce signés, tu pris une longue inspiration, déposant tes mains sur tes genoux. Tu réfléchissais au moindre de tes mouvements et expressions pour qu'on ne puisse percevoir la tristesse qui séjournait en toi. Tu paraissais naturel, trop naturel, et dans son regard, tu sentis que cela l'agaçait. Elle avait compris, elle, que tu jouais la comédie. C'est une des raisons qui faisaient que vous vous trouviez là aujourd'hui. Elle aurait aimer que tu puisses t'ouvrir complètement à elle, quitte à le faire devant le reste du monde. Qu'est-ce qu'un mariage si la confiance n'était pas là ? C'est ce qu'elle t'avait dit lors de l'une de vos dernières disputes. Elle avait le sentiment de ne pas te connaître et qu'elle n'arriverait jamais le faire. Tu étais trop tenace, Alastor, l'image que tu renvoyais était trop belle mais elle avait ses limites aussi. Tu pensais que ce serait suffisant d'être comme ça, certain que tes doutes et tes fêlures n'apporteraient rien à personne à être dévoilées. Désaccord qui ne pouvait passer outre votre amour. Je ne sais pas si on peut t'aimer vraiment, dans ces conditions. Qu'elle t'avait dit aussi, et ça, ça avait été dur à encaisser. Tu avais tout pour être aimable, absolument tout, mais jamais tu n'aurais assez confiance en elle pour tout lui montrer, et elle avait besoin de connaître ton entièreté pour t'aimer. Tu ne pouvais pas la blâmer complètement, mais une grosse partie de toi ne pouvait s'empêcher de la haïr pour avoir mis en mots tout ça, capacité que tu n'avais pas.

Deuxième divorce, déjà. Tu pensais enfin avoir trouver la bonne personne, tu te rendais maintenant compte qu'elle n'existait sûrement pas. Certaines personnes ne sont pas faites pour être aimées, pas comme ça. Tu en faisais partie, malgré toi, à cause de toi. Les chaises bougèrent, tout le monde se levait. Les avocats échangèrent entre eux, tu ne la quittais pas des yeux, imprimant une dernière fois chacun de ses traits. "Prends soin de toi." Tu lui glissais, te rapprochant d'elle. Enfin un peu de sincérité. "Prends soin de toi aussi, Al." Et dans un élan ultime d'amour, tu la serras dans tes bras. Elle posa sa tête sur ton torse, pensive, aussi vaincue que toi. Elle aussi croyait en vous.

Peu à peu, l'étincelle de fierté disparaissait de tes yeux. Un peu plus à chaque échec.



Il t'avait fallu plusieurs jours pour te souvenir. Vos regards s'étaient croisés au détour d'une rue, et depuis tu étais perturbé. Son visage te parlait, tu en étais sûr. Ce n'est pas forcément anodin de croiser quelqu'un et ne pas forcément pouvoir replacer la personne, mais là, ce n'était pas pareil. C'était devenu quasi obsessionnel, tu le sentais dans le creux de ton ventre : il était important que tu te souviennes. Tu avais fait le long tour de tes souvenirs : école, lycée, université, des affaires sur lesquelles tu avais travaillées ces dernières années. Non, ce n'était pas de là que tu la connaissais. Moins tu te rappelais, plus le sang montait en toi. Pourquoi est-ce que cette femme te troublait autant ? Qu'elle en était la raison ? Tu y pensais jour et nuit, ne trouvant plus le sommeil, arrivant de moins en moins à te concentrer sur tes dossiers à traiter.

Et puis c'était revenu.

Au détour d'une conversation avec ta mère, vous aviez parlé de lui. Ton meilleur ami, que tu avais longtemps considéré comme ton sauveur et ton héros et qui depuis avait fait office de frère de coeur. Jamais tu ne t'étais attaché comme ça à quelqu'un, une vraie connexion s'était faite entre vous. Il avait fait éclater ta solitude en mille morceaux et t'avait montré la voie pour faire de toi l'homme que tu rêvais d'être. Son charisme avait créé le tien. Tu l'avais souvent copié, jalousé, avant de finalement pouvoir construire ta propre image. La vie était passée, il avait déménagé et vos échanges se faisaient de plus en plus rares mais vous étiez toujours là l'un pour l'autre. Il avait fait le voyage pour essuyer tes larmes lors de ton premier divorce. Avait loué un bateau pour fêter la première affaire que tu avais gagnée. Il était là pour tes victoires et tes défaites.

Et cette fille, croisée au détour d'une rue n'était personne d'autre que sa femme. Tu ne l'avais jamais rencontrée, faute d'emploi du temps, mais il t'avait parlé d'elle. Tu avais pu entendre l'amour dans sa voix. Et tout s'était enchaîné ensuite. Sa mort, cette histoire de secte, ce mensonge éhonté qui avait sali son image. Il te connaissait par coeur, il était inconcevable pour toi qu'il n'en soit pas de même en échange. Tu n'avais pas pu être aussi proche d'un inconnu. Ce tissu de mensonge, tu étais bien déterminé à le voir s'envoler. Il fallait rétablir la vérité et l'honneur de ton meilleur ami.

C'est par surprise alors, que l'étincelle de tes yeux s'enflamma. Dans ton regard, on pouvait y lire l'envie de vengeance.